Dans une pétition récente déposée par un citoyen autrichien, l'Union européenne est appelée à développer et déployer un système d'exploitation open source basé sur Linux, nommé "EU-Linux", dans les administrations publiques de tous les États membres. Cette initiative vise à réduire la dépendance de l'UE aux logiciels propriétaires, comme les produits Microsoft, pour renforcer la conformité au RGPD, la souveraineté numérique et la transparence. En promouvant des alternatives open source telles que LibreOffice et Nextcloud, ainsi que le système mobile E/OS, la pétition souligne le potentiel d'amélioration de la sécurité des données, de l'efficacité économique et de la création d'emplois dans le secteur informatique européen.
Un EU-Linux souverain offrirait de nombreux avantages :
Prêt et flexible : Tirant parti de l'architecture mature et adaptable de Linux, une distribution spécifique à l'UE pourrait être adaptée aux exigences réglementaires particulières.
Efficacité économique : Passer des licences propriétaires coûteuses à l'open source pourrait réduire les dépenses, permettant de réorienter les fonds vers l'innovation et le développement local du secteur informatique.
Sécurité renforcée : En tant que système open source, Linux offre une transparence et une auditabilité permettant aux experts en cybersécurité de l'UE d'identifier et de corriger proactivement les vulnérabilités.
Interopérabilité : La compatibilité de Linux avec les standards ouverts faciliterait la collaboration transfrontalière et le partage de données au sein de l'UE.
Souveraineté numérique et confidentialité : En contrôlant le code du système d'exploitation, l'UE pourrait mieux protéger les données des citoyens, réduisant la dépendance aux systèmes étrangers.
"Le pétitionnaire appelle l'Union européenne à développer activement et à mettre en œuvre un système d'exploitation basé sur Linux, appelé 'EU-Linux', dans les administrations publiques de tous les États membres de l'UE. Cette initiative vise à réduire la dépendance aux produits Microsoft, à garantir la conformité au Règlement général sur la protection des données (RGPD) et à promouvoir la transparence, la durabilité et la souveraineté numérique au sein de l'UE. Le pétitionnaire souligne l'importance d'utiliser des alternatives open source à Microsoft 365, telles que LibreOffice et Nextcloud, et propose l'adoption du système d'exploitation mobile E/OS pour les appareils gouvernementaux. Le pétitionnaire met également en avant le potentiel de création d'emplois dans le secteur des technologies de l'information grâce à cette initiative."
Linux est un système d'exploitation mature et polyvalent, déployé dans le monde entier, alimentant des infrastructures variées, des centres de données aux appareils personnels. Son architecture modulaire et sa nature open source offrent une flexibilité unique, permettant une adaptation précise aux exigences réglementaires et opérationnelles des États membres de l'UE. L'écosystème open source autour de Linux accélère la résolution de bugs et le développement de nouvelles fonctionnalités, assurant une plateforme résiliente et en constante évolution. Avec une large gamme de distributions Linux optimisées pour des applications spécifiques, l'UE peut tirer parti de cette diversité pour adopter ou personnaliser une version qui répond aux besoins spécifiques de l'administration publique.
Les distributions modernes de Linux et des outils tiers rendent plus facile la création de versions dérivées et sur mesure pour des besoins spécifiques. Des distributions comme Debian et Ubuntu offrent des outils (ex. Debian Live, Ubuntu Customization Kit) pour des configurations personnalisées, tandis qu’Arch Linux et Gentoo permettent un contrôle précis pour des personnalisations granulaires. Des outils avancés comme le Yocto Project et Linux From Scratch permettent la création de versions spécialisées et minimalistes, idéales pour répondre aux exigences réglementaires ou de performance. Cette flexibilité permet aux administrations publiques de développer des systèmes sûrs et allégés qui respectent strictement les standards de conformité, sans fonctionnalités superflues.
Les avantages financiers de l’adoption de Linux dans les administrations de l’UE sont évidents. En abandonnant les licences propriétaires coûteuses, l’UE pourrait réaliser des économies immédiates, permettant de réorienter les fonds vers l'innovation et l'amélioration. Le modèle open source réduit les coûts de maintenance et assure que chaque État membre peut personnaliser le système sans frais excessifs. En outre, le développement d'une distribution Linux centrée sur l'UE stimulerait l'industrie informatique européenne, créant des emplois et favorisant un marché compétitif de services numériques. Cette initiative d'infrastructure numérique unifiée permettrait une meilleure interopérabilité, simplifiant la collaboration au-delà des frontières nationales et renforçant la cohésion numérique de l’UE.
Un aspect crucial des infrastructures numériques du secteur public est la sécurité. Contrairement aux systèmes d'exploitation propriétaires, souvent opaques, Linux repose sur une base open source entièrement transparente et auditable. Cette transparence permet aux experts en sécurité d'identifier et de corriger proactivement les vulnérabilités, assurant une plateforme résiliente et adaptable aux menaces cybernétiques évolutives. En réduisant la dépendance aux logiciels propriétaires, l'UE diminuerait également la surface d'attaque, renforçant la cybersécurité globale. De plus, l'architecture de Linux est conforme aux normes de sécurité les plus strictes, ce qui en fait un choix idéal pour les institutions gouvernementales soumises à des exigences de conformité élevées.
Linux excelle dans le soutien aux standards ouverts, ce qui est essentiel pour les systèmes d'administration publique qui doivent interagir avec une grande variété de technologies et de services. Sa prise en charge de la virtualisation et des services réseau diversifiés permet une intégration transparente dans les environnements informatiques existants, facilitant la communication et le partage de ressources entre différentes agences gouvernementales de manière sécurisée. Cette interopérabilité favorise un écosystème numérique cohérent au sein de l'UE, améliorant l'efficacité et l’efficacité des collaborations transfrontalières.
L'adoption de Linux dans les institutions publiques constitue une avancée significative vers la souveraineté numérique, réduisant la dépendance de l'UE aux logiciels propriétaires étrangers, en particulier aux États-Unis et en Chine. En exerçant un contrôle direct sur le code source, l'UE peut garantir les plus hauts niveaux de confidentialité des données et protéger les informations sensibles contre toute interférence étrangère. Linux permet de respecter les normes de confidentialité propres à l'UE, telles que le RGPD, en confiant la propriété des données directement aux citoyens européens, renforçant ainsi la confiance du public dans la gouvernance numérique.
Les systèmes open source comme Linux ne sont pas seulement rentables ; ils constituent aussi des plateformes d'innovation. La mise en œuvre d'un système d'exploitation Linux à l'échelle de l'UE offrirait une base sur laquelle construire de nouvelles applications et services innovants adaptés aux besoins publics. Au-delà des opérations gouvernementales, Linux est largement utilisé dans les institutions éducatives pour enseigner aux étudiants des compétences informatiques essentielles. À mesure que les nouvelles générations se familiarisent avec Linux, l'UE peut former une main-d'œuvre qualifiée et compétente en technologie open source, renforçant la compétitivité numérique de l'Europe.
Bien qu'il soit essentiel de gérer les risques en matière de cybersécurité, la véritable valeur d'une solution open source comme Linux réside dans l'opportunité de croissance, de collaboration et d'avantage concurrentiel. Les écosystèmes open source encouragent la coopération entre équipes et organisations diverses, favorisant une innovation rapide. En adoptant un écosystème basé sur Linux, l'UE peut offrir des opportunités similaires pour une collaboration numérique entre États membres, permettant à chaque pays de contribuer à un cadre numérique commun tout en l’adaptant à ses besoins locaux.
Soutenir cette pétition n’est pas simplement une question d’adoption d’un système d'exploitation ; c’est un engagement vers un nouveau paradigme de gouvernance numérique pour l’UE – un paradigme qui valorise la souveraineté, la force économique, la transparence et l’innovation. En soutenant EU-Linux, nous ouvrons la voie à un écosystème numérique résilient, économique et ouvert, en phase avec les valeurs et standards européens. Cette initiative représente une opportunité concrète de renforcer l'infrastructure numérique de l'UE, en en faisant un modèle de souveraineté et d'innovation numériques dans un monde globalisé.
Ces dernières années, l’urgence d’une souveraineté numérique en France s’est intensifiée, poussée par des initiatives législatives et des débats publics. La vision d’un « OS souverain » reflète l’engagement continu de la France à assurer son autonomie, à protéger les libertés individuelles et à établir un contrôle sur les infrastructures numériques. Bien que noble, cet engagement a souvent été éclipsé par des critiques et du scepticisme. De nombreux détracteurs, y compris des technologues influents et des défenseurs des libertés numériques, auraient pu se concentrer davantage sur les aspects positifs de cette initiative, surtout que le projet était clairement envisagé comme une distribution Linux plutôt qu’un système entièrement développé de zéro.
En 2016, la députée française Delphine Batho a défendu l’idée d’un OS souverain, soulignant l’importance de construire sur une base open source solide, comme Linux, plutôt que de créer un système entièrement nouveau. Batho a imaginé un OS démocratique et souverain qui formerait la base d’un écosystème numérique mutualisé et collaboratif, accessible et fiable tant pour les citoyens que pour les entreprises. Elle a plaidé pour que la France se concentre sur trois priorités :
Protection des libertés individuelles : Un OS souverain pourrait protéger les libertés personnelles contre les infrastructures technologiques contrôlées par des acteurs étrangers, souvent opaques quant à l’utilisation des données.
Sécurité nationale : Batho a mis en avant l’importance d’une infrastructure numérique autonome qui réduirait la dépendance de la France vis-à-vis des systèmes logiciels étrangers.
Autonomie économique : Elle s’est inquiétée de la domination des monopoles technologiques mondiaux, avertissant que sans une infrastructure numérique souveraine, la France et l’Europe resteraient vulnérables au siphonnage économique provoqué par les géants du big data opérant sous des lois étrangères.
L’approche de Batho soulignait les avantages de l’utilisation de logiciels open source, plaidant pour la transparence, l’adaptabilité et la confiance collective. Un OS souverain basé sur Linux pourrait permettre à la France de fonctionner de manière autonome tout en restant ouvert à un développement collaboratif, une alternative pragmatique à la dépendance totale aux technologies étrangères.
La proposition de 2016 a été accueillie avec une résistance notable de la part de certains technologues et défenseurs des libertés numériques. Ils l’ont considérée ambitieuse mais irréaliste, arguant qu’un projet de cette ampleur nécessiterait des ressources comparables à celles des grandes entreprises technologiques. D’autres se sont interrogés sur la capacité de la France à gérer le budget et l’expertise technique nécessaires à un tel projet.
Les critiques craignaient également que l’OS souverain ne soit pas adopté par le public, redoutant qu’il puisse servir de vecteur de surveillance étatique. Le manque de clarté autour de l’objectif final du projet, qu’il s’agisse de la protection de la vie privée des citoyens ou d’une surveillance gouvernementale, a poussé certains à le considérer comme un slogan politique sans fondement technique. Malheureusement, cette réaction a négligé l’intention claire d’adapter Linux plutôt que de créer un OS à partir de zéro. Beaucoup de critiques ont manqué une occasion de mettre en avant les aspects positifs d’un OS souverain, notamment la possibilité de s’appuyer sur des projets open source réussis comme Debian ou Replicant, une option techniquement réalisable et alignée sur l’intérêt public.
L’ambition de la France pour un OS souverain n’est pas sans précédent. La montée et la chute de Mandrakesoft, devenue ensuite Mandriva, constituent un avertissement. En tant que distribution Linux pionnière en France, Mandriva a démontré le potentiel d’un écosystème open source prospère mais a fini par faire faillite, en partie à cause d’un manque de soutien gouvernemental constant. Si Mandriva avait reçu le soutien dont elle avait besoin, elle aurait pu fournir une base solide pour un projet d’OS souverain et une communauté open source locale. Cette occasion manquée souligne l’importance d’un investissement soutenu dans les initiatives open source locales, qui sont essentielles pour parvenir à une souveraineté numérique à long terme.
Malgré les critiques passées, un OS souverain reste une voie viable pour la France afin de renforcer son autonomie numérique et ses protections de la vie privée. Lorsqu’elle est formulée de manière constructive, cette initiative s’aligne avec les objectifs européens plus larges en matière de souveraineté numérique, de contrôle des données et de sécurité nationale.
S’appuyer sur les solutions open source existantes : En s’appuyant sur des distributions Linux établies comme Debian ou Replicant, la France pourrait personnaliser un OS souverain conforme aux standards de sécurité et aux lois sur la vie privée sans encourir les coûts des logiciels propriétaires. Cette approche offre une voie économiquement viable pour garantir la souveraineté numérique.
Promouvoir la transparence et la collaboration : Un OS open source favorise la transparence, permettant aux citoyens et experts d’inspecter et d’améliorer le code, construisant ainsi une confiance publique dans le système. Les projets open source favorisent l’adaptabilité, permettant de réagir rapidement aux nouveaux défis de cybersécurité sans compromettre la vie privée des utilisateurs.
Impact économique et éducatif : L’adoption d’un OS souverain open source stimulerait le secteur technologique local, créant des opportunités d’emploi et renforçant les compétences en TI. Un accent sur l’open source dans l’administration publique pourrait réaffecter les coûts de licence pour encourager l’innovation et soutenir le développement de l’expertise en informatique en France, contribuant à une économie numérique résiliente et autonome.
Alignement avec les objectifs européens de souveraineté numérique : Les ambitions de la France pour un OS souverain s’alignent étroitement avec les objectifs de l’UE, tels que l’initiative EU-Linux. Une approche européenne coopérative en matière de souveraineté numérique permettrait de mutualiser les ressources et de créer un cadre numérique unifié capable de contrebalancer l’influence des géants technologiques non européens.
En 2023, l’appel pour un OS souverain français a refait surface face à des préoccupations croissantes concernant la confidentialité des données et l’autonomie numérique. Les sénateurs Pierre Ouzoulias et Marie-Noëlle Lienemann ont proposé un plan d’action rigoureux, appelant le gouvernement à développer et déployer un système d’exploitation national pour les administrations publiques, des ordinateurs aux smartphones, dans l’année suivant l’adoption de la législation. La proposition mettait en avant :
Une portée étendue : L’OS s’appliquerait à tous les appareils d’administration publique, assurant la souveraineté sur les données gérées par les agents publics. Avec une part de marché de 93 % pour les options américaines (Windows, macOS, Chrome OS) sur les ordinateurs et de près de 99 % pour Android et iOS sur les smartphones, le gouvernement français exprimait une inquiétude croissante quant à sa dépendance numérique aux entités étrangères.
Renforcement de la souveraineté et de la sécurité : Les sénateurs ont souligné que les alternatives actuelles ne répondaient pas aux exigences de confidentialité pour le travail public. L’adoption généralisée d’un OS indépendant réduirait les risques liés à la collecte de données et à la surveillance par des tiers.
L’histoire de l’ambition de la France pour un OS souverain révèle la nécessité d’une stratégie pragmatique fondée sur la transparence et la collaboration. En tirant les leçons des efforts passés, y compris les réussites et les revers comme l’histoire de Mandriva, il est clair qu’une initiative soutenue par l’UE pour développer un OS basé sur Linux pour l’administration publique, englobant les ordinateurs et les appareils mobiles, devrait être sérieusement envisagée et initiée.
Cette initiative pourrait s’appuyer sur les technologies open source basées sur Linux, exploitant la flexibilité de l’open source pour créer un écosystème sécurisé et axé sur la confidentialité, capable d’évoluer en fonction des exigences de sécurité et d’interopérabilité. Une approche coopérative européenne assurerait des ressources mutualisées, une innovation accrue et une conformité avec les standards réglementaires partagés, tels que le RGPD. En travaillant au sein de la communauté open source, l’UE pourrait personnaliser un OS conforme aux besoins de sécurité nationale, favorisant la souveraineté numérique et la confiance du public grâce à la transparence totale du code.
Cette stratégie est non seulement réalisable mais également avantageuse pour les États membres de l’UE. Par une implication constructive et un investissement coordonné, un OS souverain européen pourrait renforcer l’indépendance et la résilience numérique sur tout le continent. Ce projet établirait un système pratique, sécurisé et ouvert qui consolide le rôle de l’Europe dans le monde numérique, constituant un modèle d’autonomie, de transparence et d’innovation pour les citoyens et les gouvernements.
Plusieurs initiatives ont poursuivi des objectifs similaires à ceux de l'« EU-Linux » proposé, en développant des systèmes d'exploitation open source adaptés pour une utilisation gouvernementale afin de renforcer la souveraineté numérique et réduire la dépendance aux technologies étrangères. Voici quelques exemples notables :
LiMux (Allemagne) : Lancé par la ville de Munich, le projet LiMux visait à migrer les systèmes d’administration publique de Windows vers un OS basé sur Linux afin d’augmenter le contrôle sur l’infrastructure IT et de réduire les coûts. Bien que le projet ait rencontré un succès initial, il a dû faire face à un lobbying politique intense de la part de Microsoft, conduisant à un retour partiel à Windows. Voir aussi The rise and fall of Limux, LWN, 2017.
Astra Linux (Russie) : Développé pour répondre aux exigences de sécurité des institutions d’État russes, Astra Linux est certifié pour la gestion d’informations classifiées et met l’accent sur la cybersécurité et la conformité. Il est largement déployé dans diverses agences gouvernementales russes. Pour plus de détails sur la stratégie russe, voir Marie-Gabrielle Bertran, La place des logiciels libres et open source dans les nouvelles politiques du numérique en Russie, Herodote, 2020.
Ubuntu Kylin (Chine) : Résultant d’une collaboration entre Canonical et le gouvernement chinois, Ubuntu Kylin est une version officielle d’Ubuntu, conçue pour répondre aux besoins des utilisateurs et des administrations chinoises, avec pour objectif de réduire la dépendance aux systèmes d'exploitation étrangers.
BOSS Linux (Inde) : Le projet Bharat Operating System Solutions (BOSS) Linux est développé par le Centre national des ressources pour les logiciels libres et open source de l’Inde pour une utilisation publique et éducative, en mettant l’accent sur la souveraineté des données et le support multilingue. Il est déployé dans plusieurs ministères et institutions éducatives en Inde. Voir aussi: National Resource Centre for Free/Open Source Software (NRCFOSS).
Guadalinex (Espagne) : Développée par le gouvernement régional d’Andalousie, Guadalinex est une distribution Linux destinée à être utilisée dans les écoles publiques et les bureaux gouvernementaux pour réduire les coûts et promouvoir les logiciels open source. Elle est largement utilisée dans les établissements éducatifs d’Andalousie.
GendBuntu (France) : GendBuntu est une version d’Ubuntu adaptée pour la Gendarmerie nationale française. Depuis 2005, la Gendarmerie utilise des logiciels open source, notamment la suite bureautique OpenOffice.org, en adoptant le format OpenDocument (.odf) comme norme nationale. Plus de détails dans cette présentation du Colonel Xavier Guimard: Logiciels libres : Retour d'expérience sur une migration à grande échelle dans la gendarmerie nationale française (2014) et cette interview du lieutenant-colonel Stéphane Dumond par l'APRIL (2019).
Ces initiatives montrent la faisabilité de la mise en œuvre de systèmes d'exploitation souverains basés sur Linux, adaptés aux besoins spécifiques des gouvernements, et mettent en évidence l'impact positif que de telles initiatives peuvent avoir sur la souveraineté numérique et la cybersécurité.
Sur la base de la présentation et de l'interview sus-mentionnées, on peut tire les enseignements suivants de l'expérience de la Gendarmerie nationale française avec GendBuntu :
La migration de la Gendarmerie nationale française vers les logiciels libres constitue l’un des exemples les plus significatifs d’adoption de solutions open source à grande échelle en Europe. Lancée dans les années 2000, cette transition illustre une combinaison de pragmatisme stratégique, d’innovation technologique et de gestion rigoureuse des ressources publiques.
Au début des années 2000, la Gendarmerie a été confrontée à des contraintes budgétaires majeures, liées à une nécessaire extension de son infrastructure informatique pour connecter 4300 sites distants et 100 000 utilisateurs, un saut d’échelle qui aurait engendré des coûts exponentiels avec des solutions propriétaires. Face à cette situation, trois éléments ont convergé pour amorcer le virage vers le logiciel libre : la nécessité de réduire les coûts, la volonté de restaurer une souveraineté technologique en évitant les dépendances critiques, et le soutien stratégique de la hiérarchie, essentiel à la continuité et au succès d’un projet d’une telle envergure.
La Gendarmerie a opté pour une migration progressive et structurée. Plutôt que de commencer par le poste de travail, elle s’est d’abord concentrée sur le back-office, avec une adoption rapide de serveurs sous Debian et d’outils comme MySQL et PostgreSQL. Ce choix a permis de tester et valider les capacités du logiciel libre tout en posant les bases d’une infrastructure centralisée.
Sur le poste de travail, la transition a été méthodique : avant de changer de système d’exploitation, la Gendarmerie a migré ses applications critiques vers des alternatives libres et standards. Firefox, Thunderbird, OpenOffice, puis LibreOffice ont été adoptés progressivement, accompagnés par des apports fonctionnels significatifs, comme l’accès Internet ou des services de messagerie pour tous les agents. Cette démarche a permis de réduire progressivement les dépendances à l’écosystème Windows.
La migration vers Linux (via une distribution dérivée d’Ubuntu, baptisée GendBuntu) a été amorcée en 2008, avec un souci d’ergonomie pour limiter les perturbations : l’interface et les outils ont été adaptés pour imiter autant que possible l’environnement Windows. L’acceptation par les utilisateurs a été facilitée par une formation minimale, des outils de support interne, et la prise en compte des besoins spécifiques comme les normes d’accessibilité.
La Gendarmerie nationale a choisi de développer sa propre variante d'Ubuntu, baptisée GendBuntu, pour répondre à plusieurs besoins spécifiques et stratégiques qui ne pouvaient pas être satisfaits en utilisant directement Ubuntu. Voici les principales raisons :
Le principal enseignement de cette expérience est que le succès d’une migration vers le logiciel libre repose sur la prise en compte des besoins applicatifs avant toute modification du système d’exploitation. En s’assurant que les applications critiques étaient compatibles et en favorisant une adoption progressive et volontaire des solutions libres, la Gendarmerie a évité les résistances internes et les ruptures opérationnelles.
De plus, l’importance du soutien hiérarchique et d’une gestion centralisée a été mise en avant. Ce cadre a permis de gérer les résistances politiques ou économiques et d’assurer une continuité dans les orientations stratégiques, même sur une période de plusieurs décennies.
En 2018, le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN) avait défini la souveraineté numérique comme une autonomie stratégique, permettant à un État de conserver une capacité d’appréciation, de décision et d’action dans l’espace numérique, sans pour autant chercher à tout produire en interne.
Le lien entre souveraineté numérique et logiciel libre est évident depuis les années 1990. Ces arguments ont été repris par le SGDSN :
« Une stratégie industrielle basée sur l’open source, sous réserve qu’elle s'inscrive dans une démarche commerciale réfléchie, peut permettre aux industriels français ou européens de gagner des parts de marché où ils sont aujourd’hui absents, et par là même de permettre à la France et à l’Union européenne de reconquérir de la souveraineté. »
EU Linux s’inscrit précisément dans cette logique : un projet pensé pour être pragmatique, stratégique, et économique, tout en renforçant l’autonomie numérique de l’Europe.
Il ne s'agit pas simplement de créer "une distribution de plus". L'objectif d'EU Linux est de construire une brique stratégique mutualisée, alignée sur les priorités européennes. Contrairement à une initiative isolée, EU Linux serait :
Ce n'est pas "réinventer la roue", mais reprendre le contrôle sur une brique technologique fondamentale.
Les exemples récents montrent que la dépendance aux solutions étrangères n'est pas qu'une question de blocage direct :
EU Linux ne prétend pas éliminer ces risques immédiatement, mais il crée une alternative européenne crédible. En établissant une infrastructure numérique indépendante et interopérable, EU Linux offrirait une solution capable de réduire progressivement la dépendance et de négocier d’une position de force face aux géants technologiques. Cela renforcerait également la capacité des États européens à protéger leurs données sensibles et leurs infrastructures critiques.
C’est exact : sécuriser une infrastructure numérique complète nécessite une vérification au-delà de l’OS. Cependant, l’OS est le socle de toute infrastructure numérique. Sans une maîtrise complète de cet élément central, il est impossible d’assurer une chaîne de confiance cohérente. EU Linux contribuerait à cette démarche en adoptant un modèle fondé sur la transparence, qui dépasse la simple notion de confiance, et en mettant en œuvre les actions suivantes :
En combinant audits communautaires ouverts et structures dédiées financées par l’UE, EU Linux poserait les bases d’une souveraineté numérique étendue. Par exemple, le projet FOSSEPS montre comment une approche coordonnée peut encourager la transparence dans le développement et l’évaluation des logiciels libres critiques.
La transparence est un principe fondamental pour garantir l’intégrité et la sécurité des systèmes numériques, en particulier dans un contexte où la "confiance aveugle" envers des technologies étrangères peut être exploitée ou mal placée. La transparence est préférable à la simple confiance dans la gestion des infrastructures numériques européennes :
EU Linux incarnerait cette vision de transparence, notamment en :
Certes, la plupart des applications métiers et une grosse partie des applicatifs génériques sont maintenant des applications web, et c'est d'ailleurs un phénomène qui rend la migration plus facile qu'il y a 10 ou 20 ans. Cependant :
EU Linux s’adapte à ces évolutions en intégrant des outils modernes et en servant de base pour des solutions cloud souveraines.
Les échecs comme ceux de Mandriva ou Cloudwatt montrent surtout l'importance d'une vision collective et coordonnée. A contrario, les succès du passé et du présent (Gendbuntu, etc.) montrent que c'est possible. Contrairement à ces initiatives :
Ces échecs ne doivent donc pas nous freiner, mais nous servir de leçons pour structurer le succès.
C'est une critique valide : la souveraineté numérique est un enjeu systémique qui dépasse l'enjeu du système d'exploitation. Cependant, EU Linux peut jouer un rôle clé dans cet écosystème :
Ce projet ne s’oppose donc pas à des leviers comme le capital-risque ou la rétention des talents. Il en est un catalyseur.
https://www.numerique.gouv.fr/actualites/souverainete-numerique/ et https://www.numerique.gouv.fr/espace-presse/la-france-et-lallemagne-renforcent-ensemble-la-souverainete-numerique-de-ladministration-publique-en-signant-une-declaration-dintention-commune/ ↩︎
Indépendance numérique : que nous apprend la Chine ? https://institut-rousseau.fr/independance-numerique-que-nous-apprend-la-chine/ ↩︎
Linux Deepin 23: A polished distro from China that Western desktops could learn from https://www.theregister.com/2024/08/23/deepin_23/ ↩︎
https://arstechnica.com/gadgets/2024/03/linux-continues-growing-market-share-reaches-4-of-desktops/ ↩︎
https://www.jetbrains.com/lp/devecosystem-2023/development/#os_devenv et https://survey.stackoverflow.co/2024/technology/#1-operating-system ↩︎
https://www.theverge.com/2015/5/7/8568473/windows-10-last-version-of-windows ↩︎
German state gov. ditching Windows for Linux, 30K workers migrating https://arstechnica.com/information-technology/2024/04/german-state-gov-ditching-windows-for-linux-30k-workers-migrating/ ↩︎
Linux as the new developer default at 37signals https://world.hey.com/dhh/linux-as-the-new-developer-default-at-37signals-ef0823b7 ↩︎