Notes sur le livre blanc EuroStack

2025-05-07

Le 7 mai 2025, l'Initiative EuroStack, un collectif regroupant désormais plus de 200 entreprises technologiques européennes (PME, start-ups, grands groupes), experts, universitaires et acteurs de la société civile, publiera une seconde lettre ouverte aux dirigeants concernés de la Commission Européenne et un livre blanc détaillé ("Deploying the EuroStack: What's Needed Now"). S'appuyant sur des analyses factuelles, ces documents plaident pour une action immédiate et coordonnée afin de sortir l'Europe de sa dépendance et de construire une réelle autonomie numérique.

1. L'Europe, une "colonie numérique" aux atouts inexploités

Le diagnostic posé par EuroStack et confirmé par plusieurs études est sans appel :

  • Une dépendance économique massive : L'Europe est devenue massivement dépendante des technologies cloud et logicielles américaines. Une étude récente du cabinet Asterès (publiée par le Cigref) chiffre à 264 milliards d'euros par an le bénéfice pour l'économie américaine des achats européens dans ce domaine. Cela représente 83% des dépenses des grandes entreprises européennes et 1,5% du PIB de l'UE, un montant comparable à la facture énergétique annuelle de l'Europe. Cette dépendance se traduit par une perte de valeur ajoutée, d'emplois (Asterès estime que réorienter 15% de ces achats vers l'Europe d'ici 2035 créerait 463 000 emplois européens) et de contrôle économique.
  • Une vulnérabilité stratégique et juridique : Cette situation expose l'Europe aux priorités et législations extraterritoriales américaines (Cloud Act, FISA), menaçant la confidentialité des données et la souveraineté. Les initiatives françaises autour du "Cloud de Confiance" peinent à garantir une réelle immunité, car elles reposent souvent sur des technologies américaines (licences Microsoft/Google, infrastructures VMWare/Cisco) dont les risques de portes dérobées sont documentés (cf. révélations Snowden).
  • Des atouts éuropéens ignorés : L'Europe ne manque ni de talents ni de technologies performantes. De nombreuses briques logicielles fondamentales du Web, du Cloud et de l'IA sont nées en Europe. De nombreuses PME européennes proposent des solutions cloud et logicielles (IaaS, PaaS, SaaS) matures, souvent basées sur l'Open Source, mais elles sont pénalisées par des politiques publiques insuffisamment incitatives qui favorisent de facto, par différents biais, les géants américains établis.
  • Une urgence d'agir sur les outils existants : Face à ce "point d'inflexion", l'Initiative EuroStack insiste : il ne s'agit pas d'élaborer de nouvelles lois complexes, mais d'adapter rapidement l'ensemble des instruments existants (commande publique, financement, promotion, etc.) pour inverser la tendance et éviter que la dépendance ne devienne irréversible.

2. Les propositions clés d'EuroStack : "Acheter, vendre et financer européen"

Le collectif articule ses propositions autour de trois axes pragmatiques et orientés "marché" :

  • "ACHETER EUROPÉEN" (Buy European) : Créer la demande via la commande publique et privée.

    • C'est la priorité n°1 : Réformer la commande publique numérique. Mandater des règles "Acheter Européen" (via la Directive Achat Public / Cloud and AI Development Act) basées sur des critères objectifs et vérifiables (siège social, R&D, contrôle effectif non-UE, immunité lois extraterritoriales, contribution écosystème, transparence technique plutôt que "confiance" opaque, etc.).
      • Il faut utiliser le puissant effet de signal de la commande publique pour stimuler l'écosystème.
      • Fixer des objectifs chiffrés et croissants (ex: 50% de dépenses vers des fournisseurs européens d'ici 2030).
    • Inciter le secteur privé : Aides ciblées pour la migration, crédits d'impôt, intégration de la souveraineté et de l'ouverture dans les critères ESG.
  • "VENDRE EUROPÉEN" (Sell European) : Structurer et valoriser l'offre européenne.

    • Créer un Hub Européen d'Analyse de Marché dynamique pour cartographier l'offre et identifier les lacunes.
    • Faire de l'Open Source un pilier stratégique, gage d'ouverture, d'interopérabilité et de résilience. Soutenir l'audit et la maintenance des composants critiques.
    • Imposer l'interopérabilité et la portabilité pour contrer le verrouillage propriétaire ("vendor lock-in").
    • Soutenir les communs numériques (modèles IA ouverts, standards).
  • "FINANCER EUROPÉEN" (Fund European) : Orienter les capitaux vers l'autonomie.

    • Réorienter les fonds européens existants (Digital Europe, Horizon Europe, reliquat Digital Decade...) vers des projets à impact marché rapide. Utiliser les amendes DMA/DSA comme source potentielle de financement.
    • Mobiliser l'épargne institutionnelle européenne (fonds de pension, assurances) vers le capital-risque et le capital-développement technologique européen.
    • Créer un "Fonds EuroStack" dédié (géré par EIB/EIF ou via des agences nationales ou internationales similaires au Sovereign Tech Fund allemand) pour :
      • Combler les vides technologiques ou de marché (SaaS critiques, middleware cloud...).
      • Soutenir le passage à l'échelle (scale-up), maillon faible du financement européen.
      • Co-financer les coûts de migration vers des solutions européennes.

3. Un appel aux institutions:

L'Initiative EuroStack appelle à une coopération étroite et immédiate entre l'industrie, la Commission et les États membres, en soulignant que l'industrie est prête à investir si un cadre favorable est créé.

Pour la France, dont l'ambition de souveraineté numérique est forte, dans les discours, mais dont les actions concrètes sont critiquées, les propositions EuroStack offrent une alternative pragmatique et cohérente :

  • Elles permettent d'aligner la stratégie nationale avec un soutien réel aux acteurs français et européens, plutôt qu'aux filiales locales de géants américains.
  • Elles valorisent l'écosystème français (fort en Open Source, PME innovantes) souvent exclu des grands marchés publics.
  • Elles répondent à l'impératif de sécurité et de contrôle des données (ex: Health Data Hub, administrations...) de manière plus transparente et potentiellement plus résiliente.
  • Elles ouvrent des perspectives économiques concrètes (emplois, valeur ajoutée) en phase avec les objectifs de réindustrialisation et d'autonomie stratégique.

En conclusion, la démarche EuroStack, fondée sur une expertise économique et technique approfondie, propose une feuille de route réaliste pour que l'Europe redevienne un acteur autonome de son destin numérique. C'est un appel à à construire, par des actions ciblées sur la demande, la promotion de l'offre et le financement, un écosystème numérique européen compétitif, ouvert et résilient.

4. Références